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Transarctique 99 "La voie des glaces"
Le récit


Le Projet

  Bercé depuis l'adolescence par les récits d'expéditions polaires dans le grand Nord, je rêvais depuis longtemps de découvrir cet océan de glace où l'aventure humaine me semblait prendre toute sa dimension. Immensités désertes, soleils de minuit, ours polaires, Inuit, banquises, autant de mots qui me transportaient et me permettaient de vivre mes navigations en terre de feu, Patagonie et Alaska comme un parcours initiatique, en vue d'un grand passage. Naviguer de l'Océan Atlantique à l'Océan Pacifique par la face Nord, c'est à dire en traversant l'Océan glacial, me parut d'emblée être le projet regroupant toutes mes aspirations, mon Everest.

Je décidais d'aller m'entraîner dans le Golfe d'Alaska où, les glaciers se jetant dans la mer, m'offraient un formidable terrain de jeu. C'est dans ce décor de fjords escarpés et de vie sauvage, que je fis la connaissance de Robert et Joan Coates, un couple de Canadien de 75 ans.

 
  Leur bateau, un plan Nicholson en aluminium conçu à la base pour des navigations polaires pouvait être après quelques modifications le bateau idéal pour mon expédition.

Quand je leur fis part de mes projets, ils mirent Océan Search à ma disposition pendant deux ans pour un dollar symbolique afin que je puisse réaliser mon rêve.

Pour des questions de santé, Robert était conscient qu'il ne pourrait jamais naviguer en Arctique et se faisait une fierté de savoir son bateau participer à un tel défi. Il est depuis décédé et je lui dédie cette expédition.

Deux années me furent nécessaires pour monter ce projet grâce à l'aide de nombreux amis passionnés et de ma famille. Le challenge était de rallier la France en naviguant dans le Nord Sibérien pendant les six semaines d'été où la banquise relâche son étau. Si au terme de cette période nous étions toujours dans la glace, il faudrait hiverner et attendre dix mois et demi, à proximité " du Pôle du Froid ", la prochaine débâcle.

De la Colombie Britannique
aux Îles Pribilof


  Notre avance est bonne depuis le départ et nous prenons bien le rythme, le froid se fait de plus en plus vif et il est désormais difficile de manouvrer les mains nues. Les cartes de glace nous indiquent la présence de bancs isolés en approche de Providenyia.
  Il va falloir désormais veiller en permanence la glace. Le 5 juillet, nous entrons dans le fjord sans avoir aperçu le moindre glaçon, il faut dire que depuis 48 heures nous progressons dans du brouillard épais, notre horizon ne dépasse pas une cinquantaine de mètres.

  Nous découvrons la Russie de plein fouet, en gros plan, sans transition. Le village triste et délabré nous apparaît dans un voile nébuleux accentuant l'aspect sinistre du tableau. Une barge chargée d'officiels en uniformes de toutes sortes vient à notre rencontre, nous démarrons un derby de procédures administratives épuisant. Deux gardes resteront en permanence à bord pendant les trois jours que dureront les formalités. Des interprètes différents se relaient pour nous traduire les nombreux rapports et formulaires que nous devons remplir.
Rapidement nous remarquons que tout n'est pas aussi rigide que cela parait. Nos gardes pêchent, fument et acceptent l'assiette de spaghetti que nous leurs offrons. Les officiels se moquent eux même de la lourdeur de leur système, nous buvons beaucoup de thé car nos réunions durent longtemps et nous avons la gorge sèche, l'ambiance est détendue.
  Nous resterons presque trois semaines à Providenyia. Les événements du Kosovo ont considérablement retardés nos démarches lancées pourtant depuis plusieurs mois à partir de Paris. Andrei mon équipier russe nous a rejoint, nous pouvons désormais mieux communiquer avec les gens du village. Les russes essaient de nous aider dans la mesure de leurs moyens. Ceux qui ont peu, donnent beaucoup.
  Nous avons un soutien psychologique précieux de la part de notre entourage. Des coupures d'électricité fréquentes ne facilitent pas nos démarches incessantes entre Paris, Moscou et Vancouver. Le week-end les gens se réunissent dans les bars, tirent les rideaux et dansent joyeusement, la vodka coule à flot dans la plus grande fraternité. Je ronge mon frein, l'inaction pèse.

  Le 24, je comprends que nous n'obtiendrons pas nos autorisations. La saison est très courte et nous ne pouvons attendre d'avantage. Qu'a cela ne tienne, il est hors de question de faire demi tour, si nous ne pouvons pas passer par la Russie, nous passerons par les toits du nouveaux monde. Tout en attendant les derniers résultats de nos démarches russes, je commence à organiser notre passage par l'Amérique du Nord. Tout se fait par radio, nos amis n'épargnent pas leurs énergies, il n'y a plus une seconde à perdre si nous voulons être en Atlantique avant le fin de l'été.


Le Détroit de Bering


  Grâce encore une fois à un formidable élan de solidarité de nos amis Canadiens, Américains, Français et Russes, nous quittons Providenyia le 28 juillet en laissant derrière nous Andrei qui n'a pas les visas pour quitter son pays. La séparation est difficile, nous nous promettons de recommencer le plus tôt possible, la prochaine fois sera la bonne, c'est sûr, car nous avons beaucoup appris.
  L'aube et le crépuscule se confondent en une féerie de couleurs, par moments, les montagnes elles même semblent incandescentes. Nous franchissons la ligne de changement de date. Pour nous, le 28 juillet durera 48 heures.
Nous passons le Détroit de Béring avec un fort coup de vent contraire. Nous sommes alternativement en eaux russes et américaines en fonction de nos bords. Nous franchissons le cercle polaire que nous pourrons recouper seulement 6000 kms plus à l'Est. A Point Barrow, le point le plus Nord de l'Alaska nous avons rendez-vous avec la banquise ou pack-ice, d'abord visible par réfraction dans le ciel, nous finissons l'étape en sillonnant à travers la glace de plus en plus dense. Les responsables du centre de recherche arctique viennent à notre rencontre et nous aident pendant nos deux jours d'escale, nous pouvons consulter de nombreux documents nous donnant de précieuses informations sur les conditions de glace dans la région car mon étude portait essentiellement sur la Sibérie.

  Les Inuits sont très curieux et nous assaillent de questions, nous leurs racontons notre voyage, ils nous parlent de leur pêche à la baleine franche -autorisée dans le cadre de la pêche de subsistance, le quota annuel est de 22 pour Point Barrow.

A travers le pack

  L'étape à venir est très délicate. Beaucoup de glace, des hauts fonds et peu d'abri en cas de conditions glaciaires trop difficiles. Nous progressons lentement à travers le pack, il faut souvent monter dans la mature pour trouver notre chemin à travers ce labyrinthe. Pas de repos possible, nous sommes tous les deux en permanence occupés. Le bruit ahurissant de la glace contre la coque quand nous sommes en contact rajoute au stress. Par moment, le brouillard nous enferme, le danger est partout.

  Nous nous rapprochons de la côte pour retrouver un chenal libre, nous sommes obligés de rentrer dans un lagon ou les cartes nous indiquent 1,80 m de fond, notre Ocean Search a besoin de 1,80 m. Il n'y a pas le choix, nous nous échouons deux fois et finissons par trouver une passe, nous longeons d'énormes crêtes de compression, amoncellements chaotiques de glaces échouées à l'extérieur, le pack comprime, de puissantes détonations témoignent de la puissance du phénomène, notre chenal, également encombré de petite glace ne fait qu'une centaine de mètres de large nous sommes fatigués, notre combativité reste intacte, nous poussons.

  Pendant trois jours sans sommeil ou presque, nous progressons doucement mais sûrement vers des eaux praticables. Soudain sur notre route, du water sky, dans le ciel une tâche plus sombre dans le reflet blanc de la banquise nous indique par réfraction la présence d'eau libre.
Quelques heures plus tard nous nous retrouvons quasiment libre de glace. Bien que les conditions générales de navigations ne soient pas bonnes, vents et courants contraires, mauvaise visibilité, nous nous sentons légers, nous avons pu surmonter l'épreuve et trouver un passage, le défi continue.
  Le soleil au ras de l'horizon prend des formes oblongs et embrase la banquise. Une troupe de quelques bélugas virevoltent non loin, comme pour nous encourager.


Vers nunavut, le nouvel état Inuit

  Nous faisons rapidement escale à Tuktoyaktuk, village Inuit sur le delta de la rivière Mac Kenzie. Comme partout ailleurs l'accueil est très chaleureux et il y a du monde en permanence autour du bateau. Un groupe d'adolescents nous accompagne dans tous nos déplacements. Nous sommes à la moitié du parcours et la route est encore longue, le 14 août, nous prenons congé de nos amis de Tuk pour pointer notre étrave sur le Nunavut, le nouvel état Inuit. La pénombre se fait de plus en plus sombre et insistante, bientôt il fera à nouveau nuit, de toute manière nous ne pouvons aller plus vite, nous naviguons non stop, à l'exception de nos rapides escales techniques. Nous sommes de plus en plus enfouis sous plusieurs couches de vêtements qu'il faut enlever et remettre toute les trois heures.

  A deux jours de Gjoa Haven nous rencontrons une obstruction délicate, notre situation est précaire pendant de longues heures, la banquise poussée par le vent va s'échouer et comprimer, il faut que nous soyons sorti avant, de justesse nous arrivons à nous extirper de cet étau géant qui se resserre, la marge de manœuvre est très étroite. Dans ces situations le moindre contre temps peut nous amener tout droit a l'hivernage.
Gjoa Haven est le port où Roald Amundsen et ses compagnons ont hiverné durant leur expédition de 1903 à 1906, ils furent les premiers à réaliser le passage. A l'origine, il n'y avait rien à cet endroit, les Inuits sont venus attirés par la présence des explorateurs. Nous faisons la connaissance des petits enfants d'Amundsen. Chez eux, au mur pend le portrait de leur célèbre grand père.

Jusqu'au Détroit de Lancaster
  Nous sommes déjà fin août

  Neige et grêle tombent de plus en plus fréquemment alors que nous devons remonter de 800 kilomètres plus au Nord, jusqu'à 74 degré pour arriver à l'ouvert du Détroit de Lancaster en baie de Baffin.

  Paul, petit fils d'Amundsen avec qui nous avons passé le plus clair de notre temps à Gjoa Haven nous donne du poisson et du caribou séché pour compléter l'apport important d'énergie dont nous aurons besoin pour la dernière étape.

  Nous embarquons pour une centaine de kilomètres, Jonathan Waterman, un kayakiste américain bloqué depuis une dizaine de jours à cause du mauvais temps, nous le débarquons comme convenu le lendemain sur un plage déserte. Alors que nous nous éloignons, la petite silhouette de son kayak accentue l'immensité des terres arctiques. Good luck Jonathan and take care!

Nous passons à proximité de l'endroit où se sont perdus le Terror et l'Erebus de l'expédition de Sir Franklin. La glace nous laisse de grandes voies ouvertes et nous commençons à penser de plus en plus à notre prochaine sortie, nous n'osons pas le formuler de peur que cela nous porte la poisse, dans quelques jours nous saurons.

Nous nous arrêtons une nuit à Fort Ross ancien comptoir de la baie d'Hudson abandonné depuis 1948, un cairn de l'expédition Mac Clintock nous met à nouveau en contact avec les explorateurs du XIXème siècle. Sur la plage nous apercevons trois ours polaires, ils semblent encore plus étonnés que nous de cette rencontre.

  Le 1er septembre, nous franchissons le Détroit de Lancaster, le vent souffle en tempête et les icebergs, énormes cathédrales de glace sont très proches les uns des autres en approche de la baie où nous espérons trouver refuge.
Nous resterons quatre jours bloqués là en attente de conditions meilleures, nous sommes obligés de faire des quarts de veille et ne pouvons donc pas nous reposer comme nous le souhaiterions. Nous n'arrivons pas à réaliser que nous venons d'effectuer le passage du Nord-Ouest en une saison malgré les félicitations de nos amis des ondes. C'est une première française.

Cap au Sud
  La tempête s'étant calmée, nous débarquons cinq heures a Pond Inlet avant d'appareiller non stop vers la France. Nous sommes toujours à presque mille kilomètres au Nord du cercle polaire, mais nous pouvons enfin faire route au Sud.
  Les aurores boréales illuminent les cieux septentrionaux et les icebergs jalonnent notre route victorieuse. Nous rencontrerons notre dernier iceberg bien au delà des limites indiquées par les documents, alors que nous progressions dans la nuit noire sans radar depuis deux jours.
  Les dépressions se succèdent les unes derrière les autres en cette période d'équinoxe. Nous traversons Floyd, ancien cyclone tropical heureusement plus calme après son passage sur terre neuve.

  Le 3 octobre, seulement 12 jours après avoir quitté notre dernier iceberg, nous entrons en rade de Brest au terme d'une traversée mouvementée. Au total nous avons parcourus 15000 kms dont 6000 au Nord du cercle polaire. Nos familles et amis sont là pour nous accueillir.

Nous sommes fatigués mais heureux.
A l'instant ou je mets le pied à terre,
je pense à mon prochain départ pour le passage du Nord-Est...

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"La Voie des Glaces"

Editions Transboréal
Collection "Sillages"
336 pages
21,35 Euros

ISBN 2-913955-07-X"

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